Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 juillet 2021 2 13 /07 /juillet /2021 18:01

DYNASTIE PAYSANNE

suite

 

°°°

 

 

Il instaura bientôt une façon de commerce particulièrement délicate. Comme tous les autres, il achetait, gardait quelques mois - ou quelques heures – et revendait ; mais, à ces opérations vives, il ajouta des marchés à long terme. Il vendit à tempérament aux jeunes cultivateurs qui se montaient ; il vendait un tiers au-dessus du cours, et ne plaçait que des bêtes hors ligne. Il y gagna toute une clientèle fidèle, dont l’avantage était de s’adresser uniquement à lui qui les soignait. D’une sévérité farouche sur l’échéance, il se rattrapait sur la qualité de la fourniture. Disons, d’ailleurs, que le gros Natole eut, sur la conscience, dans ce pays où la Mort est une voisine rapide, quelques pendus à leur poutre, et quelques noyés dans la mare ; mais les fantômes ne le troublaient pas, même au crépuscule, qu’il abordait, au vrai, soigneusement défendu contre la mélancolie… Le métier veut qu’on boive. C’était le temps où la convention écrite avait fini par s’élever à la hauteur d’une chose sainte, intangible, contre quoi rien ne pouvait être invoqué, ni pitié ni opportunisme. L’Etat lui-même l’honorait, et le bout de papier n’était point encore devenu le bout de chiffon. Si l’on y regarde bien, cela ne manquait pas d’humanité supérieure ; disons même, de beauté. Mais, pour de telles immobilisations, on conçoit le coup d’œil qu’il fallait, la connaissance des hommes aussi bien que celle des bêtes. Natole les avait toutes deux puisqu’il réussit.

De plus, intelligemment, Lefebvre acheta où il se devait : en pays pauvre pour revendre en pays riche. L’ancien pousse-bétail savait la valeur d’un déplacement, Augeron, il acheta chez nous, en Pays d’Ouche, solage maigre où le bêton se fait de la charpente et du muscle, dans nos prés ferrugineux. Il vendait dans le Calvados, après y avoir empli, gonflé ses achats.

 

°°°

 

Il y eut des hauts et des bas dans l’établissement de cette fortune ; de bons coups et des coups durs. Sa première grande réussite vint d’une épizootie qui eut lieu, je crois, durant l’été 1893 ; à une fièvre aphteuse qui dévasta le Nord-Ouest et emporta des bovins par milliers. Le trafiquant, le gros Natole, avait des idées là-dessus : il avait cru remarquer que les bêtes de vallée résistaient mieux que celles du plateau, et il attribuait la virulence de l’épidémie à l’inexorable sécheresse et aux engrais chimiques qui envahissaient les pâtures comme le reste. Alors, dans le marasme général, il loua des prés de rivière ; les fit enclore, et, achetant du bétail au dixième de sa valeur, chez l’un, chez  l’autre, chez le cultivateur apeuré, car il n’y avait plus de foires, Natole l’entreposa dans ses prés baignants, au bord de la rivière, avec de l’eau à profusion. Ses malades, il les soigna lui-même, dès le petit jour, sans sa belle blouse, en gilet de laine noire à double rangée de boutons (gilet à manches). Il raclait les bouches, les mufles baveux d’une mauvaise écume, cautérisait les gencives excoriées, à la pierre infernale (nitrate d’argent), aidé par sa femme qui plaisantait.

 

Natole avait eu raison, la maladie fut bénigne pour son troupeau abreuvé. Il y gagna une fortune – et la fièvre aphteuse – qu’il guérit au vieux calvados, comme les remords. Au printemps suivant, il remonta tout son canton.

Son accident grave lui vint d’un notaire de Bernay qui mangea la grenouille ; un notaire magnifique, la seule imprudence de Natole qui, cependant, jugeait si bien les hommes. Le notaire lui emporta, dit-on, près de cinq mille francs. C’est difficile de garder chez soi un demi-million, et les Normands trouvent les banques trop anonymes. La prédilection de nos gens pour les personnalités entraîna Lefebvre. Il confia ses sous à cet homme très beau, très accueillant, grand seigneur, qui vivait avec faste et nanti des plus beaux chevaux de Moyenne-Normandie. Ce qui le sauva, en somme, furent ses ventes à tempérament : une part de son argent attendait et fructifiait.

Seulement, sa réaction fut extraordinaire. Quand, au titre de créancier notable, il fut mis au courant du passif, d’un tel trou à la lune, il revint chez lui, appela son fils (son fils unique, blé sur !) et lui cria en tapant sur la table :

- Norbert, mon gâs, t’seras notaire !! Etudie pour !

 

II

Partager cet article
Repost0

commentaires

L
Merci, Adeodat. C'est un plaisir !<br /> LR
Répondre

Présentation

  • : Le blog de Mortimer
  • : Chrétienne et catholique . La Banquise est une force de prières .
  • Contact

Visites depuis le 14/01/2009

 

religion et spiritualite

Pingouin de la Banquise

 

A copier-coller pour les PPP !