Marseille, 1718. Peu avant le début du carême, lors de la séquence liturgique des Quarante-Heures, le Saint-Sacrement est exposé dans l'église des Cordeliers de la cité phocéenne.
L'édifice ne désemplit pas depuis la veille. Malgré la vigueur du commerce maritime, les Marseillais s'inquiètent des difficultés sociales et des troubles à l'ordre public qui se multiplient à cette époque, ainsi que l'émergence des idées jansénistes parmi les membres du clergé. L'heure est au recueillement et à la supplication.
Au terme de la seconde après-midi, le Christ apparaît soudainement dans l'hostie contenue dans l'ostensoir. Les dimensions de l'église étant modestes, tout le monde peut voir le prodige. Maints témoins expliquent que le visage du Seigneur est "éblouissant de majesté", "son regard est doux et sévère à la fois". Le phénomène est assez bref : guère plus que trois à quatre minutes.
A l'instant où Jésus est ainsi apparu dans l'église des Cordeliers, à l'autre bout de la ville, la vénérable Anne-Madeleine Rémusat, religieuse visitandine, a une révélation ineffable de ce qui vient de se passer dans l'ostensoir. Dieu lui révèle de surcroît que si Marseille refusait de se convertir, un châtiment allait s'abattre sur elle.
Anne-Madeleine raconte immédiatement à sa supérieure, la mère Anne-Théodore Nogaret, ce qu'elle vient de recevoir. Celle-ci alerte aussitôt Mgr de Belsunce, évêque de Marseille.
Quelques instants plus tard, arrive à la Visitation l'abbé Milley, ami et confesseur d'Anne-Madeleine ; celle-ci le tient au courant de l'avertissement divin et le prie de transmettre cette nouvelle de vive voix à l'évêque.
Sachant les grâces reçues par celle qu'on appellera plus tard "l'apôtre du Sacré-Coeur", le père Milley prend sur le champ la route de l'évêché.
En chemin, il entre au Carmel de Marseille où il a l'habitude de se recueillir. Là, il rencontre une religieuse qu'il dirige aussi et qui, à sa grande surprise, lui raconte mot pour mot ce que vient de lui dire Anne-Madeleine. Les deux religieuses, cloîtrées chacune, ne se connaissent pas...
Lorsque le père Milley achève son récit, Mgr de Belsunce lève les bras au ciel et se met à prier intérieurement. Quelques instants avant que le prêtre ne parvienne à lui, un témoin oculaire des faits l'avait déjà prévenu. les deux récits se recoupent parfaitement, à la lettre près !
Sans attendre, le prélat prend la direction du couvent des Cordeliers. Les jours suivants, il interroge lui-même 70 personnes, femmes, hommes, vieillards et enfants et recueille leur témoignage sous serment. Après s'être assuré qu'il ne pouvait s'agir d'une illusion ou d'une tromperie, il dresse un procès-verbal établissant l'authenticité des faits.
Mai 1720. Un navire venu du Proche-Orient entre dans le port de Marseille. Sans que les marins le sachent, il transporte le bacille responsable de la peste. Il va tuer entre 30 et 40 000 habitants en quelques mois.
Le 1er novembre suivant, Anne-Madeleine de Rémusat fait consacrer Marseille en plein désarroi au Sacré-Coeur de Jésus par Mgr de Belsunce.