Je regardais un documentaire sur la fonte de la banquise et le réchauffement climatique quand l'assumerie du téléphone m'a tiré de ma torpeur : - ... allô ?
Il semblait déjà parler avant même que je ne réponde :
- ... et comme je le dis toujours en tant qu'éditeur : il ne faut jamais s'endormir sur ses lauriers de crainte qu'on ne nous les piquasse ! les chiffres sont presque satisfaisants, néanmoinss il serait souhaitable que vous vous améliorassiez, on ne s'améliore jamais assez comme j'aime à le répéter et même à le...
Impatienté, et craignant l'escalade verbale en solitaire, je l'ai coupé : - Quels sont les chiffres ?
J'ai senti le ton changer et prendre une suavité inquiétante :
- Les chiffres sont indécis, ou imprécis, comme vous voulez, et il serait souhaitable qu'ils le demeurassent... satisfaites-vous de ma satisfaisance, c'est amplement suffisant, ce sera ainsi chose faite, je vais d'ailleurs organiser une petite fête, je compte sur vous et...
La moutarde m'étant monté au nez je l'ai arrêté dans ses élans lyriques :
- En fait de compter j'entends surtout des contes à s'endormir debout !
Il a senti le danger et pris son ton froid et officiel :
- Comme vous le savez nos frais généraux et particuliers sont particulièrement élevés, j'ai sous mon regard préoccupé votre dossier que venait de m'amener ma secrétaire... -il a mis la main sur le combiné mais il m'a semblé entendre presque distinctement : "vous pouvez vous rhabiller"- ... et compte tenu des frais divers et variés vous concernant, ainsi que des avances consenties, vous nous devez de l'argent à un montant qui n'est pas encore chiffré mais qui pourrait bien s'aggraver...
- Vous donnez aussi des consultations médicales ? ai-je demandé.
Il s'est troublé : - mais non, je disais juste à ma secrétaire qu'elle pouvait ranger votre dossier... mais ne retardez pas la question des avances ! a-t-il repris.
- Mais quelles avances ? qu'est-ce que c'est que ces histoires !
Le ton s'est fait faussement conciliant :
- De GROSSES avances en notoriété : vous me devez le début de votre carrière et si vous ne voulez pas m'en devoir la fin il serait bon que vous écrivassiez un peu plus et bavassiez un peu moinnss...
J'ai protesté : - Mais enfin c'est vous qui m'avez appelé, dérangé, tout ça pour parler pour ne rien dire, je ne...
Il a sussuré :
- Ne vous énervez pas avant que je ne pétasse les plombs... j'attends toujours ce texte que vous m'avez promis la dernière fois, sous l'effet de la bière sans doute...
Il a raccroché.
Je me suis mis au boulot et je lui ai envoyé la suite.