J'étais venu en pensant avoir la Messe de Saint Sulpice à la chapelle de la Vierge, j'ai eu la Messe de Saint Antoine le Grand à la chapelle de l'Assomption, tout est grâce !
Et tout était vraiment grâce, cette chapelle est à part dans tous les sens du terme, à part de l'église dans laquelle elle est, mais on ne peut y accéder que par une porte quasi-dérobée qui débouche sur un couloir hors du temps dans lequel d'antiques escaliers en pierre plongent dans les mystères obscurs de la crypte et d'où l'on entend monter parfois les sons étouffés d'un orgue de choeur de l'ancien temps, ces plaintes sont attirantes mais je me suis demandé si ceux qui s'étaient hasardés à en rechercher l'origine étaient jamais remontés... un jour j'irai voir ! ne descendons pas les escaliers mais poussons la porte de la vénérable chapelle où l'on a la Messe quand elle n'a pas lieu à la chapelle de la Vierge, c'est l'admirable chapelle de l'Assomption, tout en bois, des murs au plafond, sauf le carrelage aux épaisses dalles de jadis. Elle est insolite cette chapelle, jamais refaite elle a gardé son cachet d'origine, on se retrouve d'un coup plongé dans le XVIIe siècle comme si le temps s'était arrêté, la première fois j'étais stupéfait, abasourdi, je me suis habitué, je la retrouve toujours avec plaisir, savourant cette grâce particulière et inattendue d'y avoir la Messe, sauf en été où c'est le lieu prévue à l'heure marquée de 12h05, autre singularité typiquement sulpicienne !
Il y avait Messe au choeur de Saint Sulpice, raison pour laquelle la Messe du jour était déplacée de la chapelle de la Vierge à son Assomption, nous restions sous le manteau de Marie en son église secrètement chère à son coeur. La dernière fois c'était une Messe d'enterrement, cette fois il n'y avait pas de cercueil, c'était une Messe de commémoration.
Précédés de trois prêtres est entré le prêtre qui allait dire la Messe, ce serait donc la Messe des quatre évangélistes, Messe trinitaire de l'humanité également, les trois couleurs de celle-ci étant représentées, l'une par un prêtre africain, une autre par deux prêtres asiatiques, et la nôtre par un prêtre français, Messe universelle de la terre entière.
J'avais eu ce prêtre déjà, il y a un an, peut-être moins, à la chapelle de la Vierge, il était venu revêtu d'une chasuble qu'on ne voit que sur les tableaux du XVIIe siècle, on aurait dit qu'elle était sortie intacte des armoires inviolées de Saint Sulpice, ce qui était peut-être le cas, aujourd'hui la chasuble était d'une blanche simplicité monastique digne de Saint Antoine, on aurait dit des quatre prêtres comme de moines sortis de leur thébaïde du désert pour venir nous dire la Messe, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.
Le prêtre a une diction particulière, posée, recueillie, attentive, elle subjugue, retient l'attention, nous ouvre aux saints mystères, nous faisons donc mémoire de Saint Antoine le Grand, ce père de tous les moines, de tous les spirituels, les oraisons choisies seront particulièrement belles et profondes, l'homélie sera sur le saint Evangile de Jésus venu pour les pécheurs, non pas les bien portants, nous y arrivons, comme d'habitude on écoute d'une oreille plus ou moins distraite en ayant du mal à se concentrer, mais notre attention s'éveille doucement, ce n'est que l'introduction, voici le moment fort, nous sommes déjà toute ouïe, nous avons été conduits à entendre, à comprendre, ce qui est peut-être improvisé, ou inspiré, point de feuilles ici, mais la parole nue : "... c'était dans les années 70, il était à la mode pour des jeunes d'aller en Inde... un fils est parti là-bas et s'est retrouvé à Calcutta, je vous laisse imaginer dans quelles conditions... et un père, son père, est parti à la recherche de son fils, pour cela il a tout abandonné, tout quitté, tout vendu, pour aller rechercher son fils au fin fond de Calcutta, au tréfond de Calcutta, dans les bas-fonds de Calcutta, et il l'a retrouvé ! et quand ce fils a vu ce père qui avait tout quitté pour le chercher, lui, il a été bouleversé au plus profond de lui-même... Dieu est venu pour les pécheurs, non pour les justes...
J'écoutais le prêtre, je regardais le jeune des années 70 qui aujourd'hui nous disait la Messe.
Très beau texte cher ami
Merci.
Mortimer