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6 octobre 2021 3 06 /10 /octobre /2021 08:10

L’HOMME DE LA NUIT

Suite

La religion aurait-elle suffit à faire garder ses premiers principes d’honnêteté ? Il se le demandait en mâchant son fromage et ses biscuits, les yeux toujours sur le texte sacré.

Ayant trouvé du lait, il en but un peu, puis se leva. A la place où il était assis s’étalaient deux petites mares, l’une sur le sol, l’autre sur la table où il avait posé ses bras. Il éteignit la lumière, traversa doucement la boutique, écouta, puis ouvrit la porte. Il n’y avait personne  en vue. Il sortit, refermant la porte à clef derrière lui. Il remit la clef sur le rebord où il l’avait trouvée, et regagna rapidement la rue principale. Le lourd couteau, pointu et fraichement aiguisé, enfoui dans sa poche, heurtait sa cuisse à chaque pas.

Se sentant en proie à un malaise, il essaya d’analyser d’où cela provenait. Il songea que c’était sans doute le verset, et sourit à cette pensée ; mais aussitôt son sourire s’évanouit. Il n’était plus seul !

Un homme avait surgi de l’obscurité, rapidement, silencieusement, et marchait auprès de lui, à son pas.

Thomas s’arrêta net. Sa main descendit vers la poche où se trouvait le couteau.

«  Que voulez-vous ? » demanda-t-il violemment.

L’autre ne répondit rien. Son visage restait dans l’ombre. Comment était-il habillé, quel genre d’homme était-ce ? Thomas ne pouvait s’en rendre compte. Il voyait seulement qu’il était grand, élégamment proportionné, à l’aise dans ses mouvements.

Il y eut un silence, puis l’homme dit : «  Venez ! » Aussitôt, le cambrioleur le suivit sans mot dire.

Ils avancèrent sans échanger un mot, et Thomas se rendit compte que la direction que suivait l’homme était celle qu’il avait décidé lui-même de prendre.

«  J’irai me livrer… après cela, dit-il en parlant fiévreusement. Il faut en finir… en finir avec ce genre de vie… en finir ! »

Il ne trouvait pas bizarre de découvrir ainsi les plus secrètes pensées de son cœur ; il acceptait sans aucune surprise l’idée que l’étranger savait tout.

«  C’est elle qui m’a fait tomber de plus en plus bas, sanglota Thomas, comme ils parcouraient côte à côte les rue étroites qui menaient au fleuve. J’en souffrais au début, mais elle a jugulé ma conscience… elle se moquait de mes scrupules. C’est le démon en personne, je vous le dit !

- D’autres hommes ont dit : «  La femme m’a tenté », prononça doucement l’étranger. Cependant, l’homme a son propre cerveau et sa propre volonté.

Thomas secoua la tête avec obstination.

«  Je n’avais pas de volonté devant elle. Quand je l’aurai tuée, je serais de nouveau un homme. »

Il tâta sa poche où se trouvait toujours le couteau. «  Si nous avions eu des enfants, poursuivit-il, les choses auraient été différentes, mais elle détestait les enfants.

- Si vous étiez dégagé d’elle, vous pourriez être un homme », dit l’étranger.

Sa voix était douce, grave et triste.

Thomas se tourna avidement vers lui.

«  Oui, oui ! C’est bien ce qu je veux dire. Elle est un obstacle dans ma vie. Si je la tue, je pourrai recommencer une autre vie, n’est-ce-pas ? Je pourrai revenir me présenter parmi les hommes en disant : «  J’ai tué ce qu’il y avait de mauvais en moi, donnez-moi une autre chance. » Regardez ! »

Il fouilla dans sa poche et en retira le couteau. La pluie cinglait le papier, ses mains tremblaient dans son agitation à montrer la forte lame, toute brillante et pointue.

«  je ne pourrai pas la tuer de mes seules mains, dit-il en respirant rapidement. Mais je sens qu’il faut que je le fasse, quoique je déteste tuer .J’ai étranglé un lapin une fois, quand j’étais enfant, et cela m’a hanté pendant des jours et des jours.

- Si vous étiez dégagé d’elle, vous pourriez être un homme, dit l’étranger.

- Oui, oui, acquiesça le voleur en inclinant la tête. C’est bien ce que je dis. Je retournerai… vers mes vieux… mes vieux ! Ils ne savent pas où j’en suis venu. »

Sa voix se brisa.

Ils tournaient de ruelle en ruelle, traversant des artères plus importantes, passant devant les impasses où étaient rangées des voitures de marchands de quatre-saisons, les roues enchaînées l’une à l’autre. Ils parcouraient des terrains vagues.

A un certain moment, au bout d’une ruelle, ils aperçurent le fleuve et virent trois chalands amarrés l’un contre l’autre qui s’élevaient et retombaient suivant le mouvement du flot. En plein courant, un vapeur était ancré, dont on voyait luire faiblement trois feux.

«  J’entrerai dans la maison par la cour de derrière, dit Thomas. Il n’y a personne d’autre dans la maison qu’une vieille femme, ou du moins il ne doit y avoir personne. Ma femme couche sur le devant de la maison.

- Si vous étiez dégagé d’elle, vous pourriez être un homme, répéta l’étranger.

-  Oui, oui, oui, dit impatiemment le forçat. Je sais… Quand je serai libre. »

Il rit joyeusement.

«  Elle vous a fait tomber trop bas, dit l’étranger avec douceur. Chaque fois que vous vouliez faire effort pour remonter, elle vous en empêchait.

- C’est vrai, c’est la vérité ! dit Thomas.

- Cependant vous ne pouviez vous débarrasser d’elle. Vous êtes loyal, fidèle et bon.

- Dieu m’est témoin que c’est la vérité, gémit-il. Dans le bien comme dans le mal, dans le richesse comme dans la pauvreté », dit Thomas avec l’impression que l’étranger prononçait ces mots en même temps que lui.

Enfin ils atteignirent une rue plus sombre, plus misérable encore, semblait-il, que toutes les autres. Thomas s’arrêta devant une impasse qui menait à une série de petites maisons.

«  J’entre maintenant, dit-il simplement. Attendez-moi ici, et quand je reviendrai, nous recommencerons une nouvelle existence. Je vais la tuer rapidement. »

L’homme ne répondit rien. Thomas suivit l’impasse, tourna sur sa droite dans un passage encore plus étroit, entre des barrières de bois, et atteignit ainsi une grille toute démantibulée.

Il poussa le grille et entra dans une petite cour très sale, remplie de déchets ménagers. Il y avait là un poulailler à demi démoli et, tandis que Thomas passait, un coq chanta bruyamment.

Il n’y avait personne dans la pièce qui donnait sur la cour. Il souleva la fenêtre qui grinça un peu. Il attendit que le coq chantât de nouveau pour étouffer le bruit de la fenêtre. puis se hissa dans la pièce.

La pointe du couteau pénétra dans sa jambe, lui faisant un mal cuisant.

Il prit le couteau et tâta la lame… Brusquement, il se rendit compte qu’il n’était pas seul dans la pièce.

Tenant fortement le couteau, il essaya de sonder les ténèbres.

« Qui est là ? murmura-t-il.

- C’est moi, dit la voix qu’il connaissait, celle de l’homme qui lui était apparu dans la nuit.

- Comment… comment êtes-vous entré ? »

Il était stupéfait et troublé.

«  Je vous ai suivi, dit le voix. Débarrassons-nous de cette femme. C’est la mauvaise graine qui étouffe votre âme.

- Oui, oui », dit Thomas tout bas, en cherchant à tâtons la main de l’étranger.

La main dans la main, ils entrèrent dans la chambre de la femme.

Une veilleuse brûlait sur la cheminée.

Elle était étendue sur le lit, un bras nu rejeté au dehors, tandis que sa poitrine se soulevait régulièrement.

Il avait vu une autre chose se soulever et s’abaisser d’un mouvement aussi monotone. Qu’était-ce donc ? Ah ! oui, les chalands du fleuve…

Elle était belle, quoique vulgaire, et, en dormant, elle souriait. Elle bougea en prononçant un nom – mais ce n’était pas celui de l’homme qui se tenait penché sur elle, un couteau dans la main tremblante,

«  L’aimez-vous ? »

La voix de l’étranger était très douce.

Le mari secoua la tête.

«  Je croyais… autrefois. Maintenant… »

Il secoua de nouveau la tête.

«  La haïssez-vous ? »

Le voleur regardait gravement la femme.

«  Je ne la hais pas, dit-il avec simplicité. Je veillais sur elle parce que c’était mon devoir…

- Venez », dit l’étranger.

Et ils quittèrent la chambre ensemble.

Thomas déverrouilla la porte d’entrée, puis ils s’enfoncèrent de nouveau dans la nuit morne.

«  Je ne l’aime pas, je ne la hais pas, dit-il encore. Je retournais vers elle parce que c’était mon devoir. J’ai travaillé, j’ai volé, et elle m’a trahi… Alors, j’ai pensé à la tuer ! »

Il tenait encore le couteau.

En silence, ils suivirent le chemin qu’ils avaient pris pour venir, jusqu’à ce qu’ils atteignissent la ruelle qui menait au fleuve.

Ils suivirent cette ruelle.

Au bout ils trouvèrent quelques marches et entendirent le clapotis de l’eau.

Alors, Thomas leva le bras et lança le couteau dans l’eau. A cet instant, une voix appela du bas des marches.

«  C’est toi, Cole ? »

Thomas sentit son cœur s’arrêter de battre.

La voix était dure et métallique. Il cligna des yeux comme s’il se réveillait.

«  C’est toi, Cole… Qui est là ? »

Thomas aperçut alors un bateau au bas des marches. Quatre hommes s’y tenaient, dont l’un avait saisi un anneau scellé dans le mur, à l’aide d’une gaffe.

«  C’est moi, dit le voleur.

- C’est pas Cole, prononça une autre voix avec dégoût. Cole ne viendra pas, il est soûl. »

Il y eut un conciliabule dans le bateau, puis une voix autoritaire demanda.

« Tu veux du travail, mon gars ? »

Thomas descendit deux marches et se pencha en avant.

«  Oui… je veux du travail. »

Une voix agitée déclara qu’on allait manquer la marée.

«  Tu sais faire la cuisine ?

- Oui… je sais. »

C’était son emploi à la prison.

« Alors saute ! On t’inscrira demain. On va à Valparaiso… Vapeur. Ça te va ? »

Thomas ne répondit pas tout de suite.

«  Je ne veux pas revenir ici, dit-il enfin.

- On en trouvera un meilleur que toi pour le voyage de retour. Allons ! saute là-dedans. »

Il entra maladroitement dans le bateau. Aussitôt, l’officier à l’avant donna un ordre.

La barque s’écarta du bord et le voleur songea alors à l’homme qui lui était apparu dans la nuit.

Il ne voyait mieux qu’il ne l’avait encore jamais vu. C’était une radieuse silhouette qui se tenait au bord de l’eau, la main tendue en signe d’adieu.

Thomas vit son visage, si beau, si bienveillant. Une vague lueur semblait l’encadrer.

«  Voici… murmura celui qui était descendu dans le bateau. C’est étrange, comme ce verset…. Adieu, adieu, monsieur.

-A qui tu causes, camarade ? demanda le marin qui ramait.

- A… l’homme qui était avec moi, dit Thomas.

- Y avait personne avec toi, rétorqua l’autre, méprisant. T’étais seul. »

 

                                                                            Edgar Wallace

 

                                                                                  1920

 

 

 

 

 

 

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5 octobre 2021 2 05 /10 /octobre /2021 08:03

suite

 

L’HOMME DE LA NUIT

 

Suite

 

Dehors, il pleuvait doucement. Les rues semblaient abandonnées ; la longue ligne des réverbères qui s’étendait à l’Est et à l’Ouest accentuait cet étrange sentiment de solitude.

 

« Tic-tac, tic-tac », reprit l’appareil avec une sorte de frénésie.

 

L’inspecteur se redressa, attentif. Son fauteuil gémit. Un constable qui se tenait près de la porte avait également entendu cet appel précipité.

 

« Qu’est-ce que c’est, Gil ? » demanda l’inspecteur avec mauvaise humeur.

 

Le constable s’approcha et prit le message.

 

« Ordre à tous les postes d’arrêter Georges Thomas, libéré du bagne : âge, trente-cinq ans ; taille cinq pieds huit pouces ; teint et cheveux foncés ; yeux bruns ; allure distinguée. Soupçonné d’avoir pris part au vol entrepôt Walthamstow et Canning Town, spécialement ; prendre note et accuser réception.

 

                                                                        « Scotland Yard. »

 

«  En pleine nuit ! s’exclama l’inspecteur avec contrariété. Ils m’appellent pour me dire ce que je leur ai dit il y a des heures ! Quelle organisation ! »

 

Il secoua la tête désespérément. Dehors, dans la rue, un homme approchait, sous la pluie fine, les mains enfoncées dans les poches, le col de son pardessus relevé, la tête penchée sur la poitrine. Il traînait ses bottines trempées et ralentit le pas en approchant du poste. L’agent de police qu’il s’attendait à trouver devant la poste était absent.

 

L’homme hésita au pied des marches, puis serra les mâchoires et monta lentement.

 

Il s’arrêta encore dans le couloir qui précédait l’entrée de la salle de garde.

 

« Ça m’étonne de Thomas, prononça la voix de l’inspecteur. Je croyais qu’il essayait de se réformer.

 

- C’est sa femme, monsieur » dit le constable.

 

Il y eut un long silence que rompait seul le bruit du balancier.

 

« Alors, pourquoi sa femme l’a-t-elle dénoncé ? demanda l’inspecteur.

 

- Ah ! c’est elle qui a donné ? »

 

Il y avait de la stupeur dans la voix du constable, mais l’homme dans le couloir nes’en rendit pas compte. Il était appuyé au mur, se tenant la gorge ; son visage maigre, non rasé, était livide, ses mains tremblaient.

 

« C’est elle qui l’a vendu », dit l’inspecteur.

 

Il parlait comme un homme satisfait de divulguer des nouvelles que lui seul savait.

 

« Vous le connaissez ?

- Un peu monsieur, répondit la voix du constable.

 

- Belle créature… Elle aurait pu choisir mieux que Thomas.

 

- Je crois bien que c’est ce qu’elle a fait », déclara sèchement l’agent de police.

 

On les entendit rire tous les deux.

 

«C’est donc pour ça ! Elle veut le savoir sous les verrous ! J’ai connu des cas de ce genre. »

 

L’homme du couloir se glissa dehors. Il tremblait de tout son corps. Il faillit tomber à la dernière marche et se raccrocha à la grille qui longeait l’immeuble.

 

La pluie tombait à verse, mais il ne la sentait pas. Il était assommé, anéanti par ce qu’il venait d’apprendre. Il avait, en effet, cambriolé un entrepôt parce qu’elle s’était moquée de sa tentative de s’amender. Il voulait redevenir honnête, et elle l’avait poussé hors de son chemin… et puis, lorsqu’il avait accompli son vol avec toute sa vieille habileté, sans laisser aucune trace de son identité, voilà qu’elle avait été tout droit à la police pour le dénoncer ! Mais ce n’était rien. Des femmes ont fait ça, déjà par jalousie, dans un accès de rage, se croyant, à tort ou à raison, lésées ; mais elle, elle avait fait cela délibérément parce qu’elle aimait un autre homme.

 

Il avait retrouvé son sang-froid maintenant, voyant les choses très nettement. Il hâta le pas, marchant rapidement et légèrement, la tête haute, comme au temps où il était associé à un coulissier et qu’elle n’était encore qu’une aimable jeune fille qui se délectait à lire des romans.

 

La pluie coulait sur son visage, les manchettes de  sa chemise collaient à ses poignets, son pantalon était trempé des cuisses aux chevilles. Il songeait à une petite boutique de la rue du Commerce, où l’on vendait du beurre, du fromage et du bois de chauffage. Il y avait acheté, pour un penny, du fromage et du pain, et se rappelait que la femme, derrière le comptoir, avait coupé le fromage avec un grand couteau pointu, nouvellement aiguisé… Il réfléchissait tout en se dirigeant vers la boutique. Ces couteaux sont généralement rangés dans un tiroir près e la caisse, avec la scie à jambon et le pèse-lait. Il savait que la boutique était fermée, les volets mis, et il n’avait rien pour forcer la porte. Ses outils avaient été raflés par la police. Il s’était demandé comment elle les avait découverts ; maintenant il savait.

 

Il retint un sanglot.

 

Cependant, il fallait trouver un moyen. Le couteau était nécessaire. Il était encore affaibli par sa dernière période d’incarcération ; il ne pouvait pas la tuer avec ses seules mains… elle était si forte et si belle, oh ! si belle !

 

Ses pensées sans suite se heurtaient dans sa tête, il arriva bientôt devant la boutique. Elle se trouvait dans une petite rue qu’éclairait un seul réverbère. Pas d’autre bruit que celui de la pluie. Personne  en vue. On voyait une imposte au-dessus de la porte ; il constata tout de suite qu’il n’y avait pas d’autre moyen pour enter. Il se hissa sur la plante des pieds pour tâter le bas de l’imposte. Ses doigts rencontrèrent alors un objet sur le rebord. Son cœur bondit. C’était une clé… Il avait bien supposé que la boutique ne comportait pas d’habitation, et il connaissait trop les habitudes de négligence de ces petits boutiquiers pour être surpris de la facilité avec laquelle on pouvait pénétrer sans effraction. Il glissa la clé dans le serrure, la fit tourner et entra, refermant la porte doucement derrière lui.

 

Il faisait chaud à l’intérieur ; cela sentait le renfermé et une odeur de victuailles : de fromage, de jambon et aussi de bois résineux. Il avait des allumettes dans les poches, mais elles étaient trop humides et ne pouvaient pas prendre. Alors tâtonnant sur les étagères, il finit par en trouver une boîte neuve. Il en alluma une, protégeant la flamme d’une main. La boutique avait été balayée et rangée pour la nuit. Un morceau de mousseline enveloppait le beurre posé sur le marbre. Sur le comptoir d’étalait, bien en vue, une feuille de bloc-notes. Des instructions concernant un certain « Fred » y étaient écrites ‘une main malhabile. Il devait allumer le feu, mettre de l’eau à bouillir, prendre le lait et servir Mrs. Smith.

 

Fred était évidemment le garçon qui arrivait le premier, le matin, et pour lequel on laissait la clé au-dessus de la porte. Il était assez surprenant que Thomas réfléchit à ses détails, tout en allumant ses allumettes l’une après l’autre afin de découvrir le couteau pointu fraîchement aiguisé. Il éprouvait une certaine exaltation à se rappeler l’aisance avec laquelle il avait pu s’introduire dans la boutique. Il avait même une folle envie de siffler et de parler.

 

Enfin, il trouva le couteau sous le comptoir, avec une planche à découper fortement entaillée et un « fusil » à aiguiser. Il enveloppa soigneusement le couteau dans un morceau de journal, puis sentit qu’il avait faim. Il détacha un morceau de fromage. Il ne trouva pas de pain, mais s’empara d’une boîte de biscuits entamée. Tenant ses provisions à la main, le couteau en sûreté dans sa poche, il continua son exploration. Il découvrit une arrière-boutique dont la porte n’était pas fermée à clef. Il entra.

 

Après avoir frotté plusieurs allumettes, il se décida à allumer le bec de gaz. Il se trouvait dans une toute petite pièce meublée à bon marché, mais gentiment. Quelques bibelots chinois sans valeur étaient posés sur la cheminée, des lithographies étaient accrochées au mur ; une horloge faisait entendre un tic-tac bruyant. Au poste de police, il y avait aussi une horloge… Il grimaça comme  sous l’effet d’une douleur, puis tâta son couteau et sourit.

 

Il s’assit ensuite devant la petite table, au milieu de la pièce, et mangea machinalement, les yeux fixés sur le mur en face de lui.

 

Il avait tout accompli pour elle ; son premier vol… quelques souverains extraits de la caisse… Elle en avait été l’instigatrice. S’il avait été poussé sur la pente fatale, c’était grâce aux petites folies, aux petites extravagances, à la coquetterie de sa femme. Les yeux fixés au mur, il dévalait cette pente en souvenir.

 

Sur le mur s’étalait un verset de la Bible. Les yeux de Thomas n’avaient pas quitté ses mots mal imprimés, aux lettres noires, dorées, vertes, rouges, irrégulièrement alignées.

 

Ses pensées s’évadaient en tous sens, quoiqu’il s’efforçât inconsciemment, les yeux sur le verset, de les concentrer sur un point unique. Une moitié de son cerveau poursuivait la mortelle route de l’introspection ; l’autre, à contrecœur, jouait avec les mots fixés au mur.Il ne lisait que ceux écrits en majuscules :

 

« Voici… L’Agneau… Dieu… Efface… Péchés… Monde… »

 

Trois années de bagne pour cambriolage, deux périodes de six mois pour effraction… Poussé par elle, toujours. Bien des années avant, il allait à l’église, faisait partie du chœur, s’intéressait aux choses de la religion. C’est étrange comme un homme peut d’éloigner de cette voie, comme la fraîcheur de la foi s’efface… Il l’avait épousée par licence spéciale, à Marylebone, et ils étaient allés à Brighton pour leur voyage de noces. Elle savait bien qu’il ne gagnait pas suffisamment pour leur train de vie ; il ne se doutait pas qu’elle avait deviné  qu »il volait son patron. Aussi lorsque, froidement et non sans amusement, elle lui avait révélé qu’elle n’en ignorait rien, il avait été confondu et bouleversé…

 

« Voici… L’Agneau… »

 

A suivre

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