A Rome, la Station est dans l’Église de saint Apollinaire, qui fut disciple de saint Pierre et ensuite premier Évêque de Ravenne et Martyr.
ÉPÎTRE.
C’est ainsi que Juda, captif en Babylone, épanchait ses vaux au Seigneur par la bouche d’Azarias. La désolation était au comble dans Sion, veuve de son peuple et de ses solennités ; ses fils, transplantés sur une rive étrangère, devaient successivement y mourir jusqu’à la soixante-dixième année de l’exil ; après quoi Dieu se souviendrait de ses exilés, et les ramènerait en Jérusalem par la main de Cyrus. Alors aurait lieu la construction du second temple qui devait voir le Messie. Quel crime avait donc commis Juda pour se voir soumis à une telle expiation ? La fille de Sion s’était prostituée à l’idolâtrie ; elle avait rompu le pacte sacré qui l’unissait au Seigneur comme à son époux. Toutefois son crime fut effacé par cette captivité d’un nombre limité d’années ; et Juda, rétabli dans la terre de ses pères, ne retourna plus au culte des faux dieux. Il était pur d’idolâtrie lorsque le Fils de Dieu vint habiter au milieu de lui. Mais quarante ans ne s’étaient pas écoulés depuis l’ascension glorieuse de ce divin Rédempteur, que Juda reprenait de nouveau le chemin de l’exil ; qu’il était, non plus emmené captif à Babylone, mais dispersé, après d’affreux massacres, dans toutes les nations qui sont sous le ciel. Voilà, non plus soixante-dix ans, mais dix-huit siècles qu’il est « sans prince, sans chef, sans prophète, sans holocauste, sans sacrifice et sans temple ». Le crime commis par Juda est donc plus grand encore que l’idolâtrie, puisque, après une si longue suite de malheurs et d’humiliations, la justice du Père n’est pas apaisée ! C’est que le sang qui fut versé par le peuple juif sur le Calvaire en ces jours n’est pas seulement le sang d’un homme ; c’est le sang d’un Dieu. Il faut que toute la terre le sache et le comprenne, à la seule vue du châtiment des meurtriers. Cette immense expiation d’un crime infini doit se continuer jusqu’aux derniers jours du monde ; alors seulement le Seigneur se souviendra d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; une grâce extraordinaire descendra sur Juda, et son retour consolera l’Église affligée de la défection d’un grand nombre de ses fils. Le spectacle d’un peuple entier imprégné de la malédiction dans toutes ses générations, pour avoir crucifié le Fils de Dieu, donne à réfléchir au chrétien. Il y apprend que la justice divine est terrible, et que le Père demande compte du sang de son Fils, jusqu’à la dernière goutte, à ceux qui l’ont versé. Hâtons-nous de laver dans ce sang précieux la tache de complicité que nous avons avec les Juifs ; et, rompant les liens de l’iniquité, imitons, par une entière conversion, ceux d’entre eux que nous voyons de temps en temps se détacher de leur peuple et se rendre au divin Messie, dont les bras sont étendus sur la Croix pour recevoir tous ceux qui veulent revenir à lui.
ÉVANGILE.
Aux idées sombres que suggère le spectacle de la réprobation du peuple déicide, l’Église se hâte de faire succéder les pensées consolantes que doit produire dans nos âmes l’histoire de la pécheresse de l’Évangile. Ce trait de la vie du Sauveur ne se rapporte pas au temps de la Passion ; mais les jours où nous sommes ne sont-ils pas les jours de la miséricorde ; et ne convient-il pas d’y glorifier la mansuétude et la tendresse du cœur de notre Rédempteur qui s’apprête, en ces jours mêmes, à faire descendre le pardon sur un si grand nombre de pécheurs par toute la terre ? D’ailleurs Madeleine n’est-elle pas la compagne inséparable de son cher Maître crucifié ? Bientôt nous la verrons au pied de la Croix ; étudions ce type d’amour, fidèle jusqu’à la mort ; et pour cela considérons son point de départ.
Madeleine avait mené une vie coupable ; sept démons, nous dit ailleurs le saint Évangile, avaient fixé en elle leur demeure. Il a suffi à cette femme de voir et d’entendre le Sauveur ; tout aussitôt la haine du péché la saisit, le saint amour se révèle à son cœur ; elle n’a plus qu’un désir, celui de réparer sa vie passée. Elle a péché avec éclat : il lui faut une rétractation éclatante de ses égarements ; elle a vécu dans le luxe : désormais ses parfums sont tous pour son libérateur ; de sa chevelure, dont elle était si fière, elle lui essuiera les pieds ; son visage ne connaîtra plus les ris immodestes ; ses yeux, qui séduisaient les âmes, sont noyés dans les larmes. Parle mouvement de l’Esprit divin qui la possède, elle part pour revoir Jésus. Il est chez le Pharisien, il est assis à un festin, elle va donc se donner en spectacle ; que lui importe ? Elle s’élance avec son vase précieux, et dans un instant la voilà aux pieds du Sauveur. C’est là qu’elle s’établit, là qu’elle épanche son cœur et ses larmes. Qui pourrait décrire les sentiments qui se pressent dans son âme ? Jésus lui-même nous les fera connaître tout à l’heure d’un seul mot. Mais il est aisé de voir à ses pleurs combien elle est touchée, à l’emploi de ses parfums et de ses cheveux combien elle est reconnaissante, à sa prédilection pour les pieds de son Sauveur combien elle est humble.
Le Pharisien se scandalise. Par un mouvement de cet orgueil judaïque qui bientôt crucifiera le Messie, il prend de là occasion de douter de la mission de Jésus. « S’il était prophète, pense-t-il, il saurait quelle est cette femme. » Lui, s’il avait l’esprit de Dieu, il reconnaîtrait le Sauveur promis à cette condescendance envers la créature repentante. Avec sa réputation de vertu, qu’il est au-dessous de cette pauvre femme pécheresse ! Jésus prend la peine de le lui donner à comprendre, en faisant de sa bouche divine le parallèle de Madeleine et de Simon le Pharisien, et dans ce parallèle l’avantage reste à Madeleine. Quelle cause a donc ainsi transformé la pécheresse de manière à lui mériter non seulement le pardon, mais les éloges publics de Jésus ? Son amour : « elle a aimé son Rédempteur, elle l’a aimé beaucoup », et le pardon qu’elle a reçu est selon la mesure de cet amour. Il y a peu d’heures, elle n’aimait que le monde et la vie sensuelle ; le repentir a créé en elle un être nouveau ; elle ne cherche plus, elle ne voit plus, elle n’aime plus que Jésus. Désormais elle s’attache à ses pas, elle veut subvenir à ses besoins, elle veut surtout le voir et l’entendre ; et, au moment de l’épreuve, quand les Apôtres auront fui, elle sera là au pied de la Croix, pour recevoir le dernier soupir de celui à qui son âme doit la vie. Quel sujet d’espérance pour le pécheur ! Jésus vient de le dire : « Celui à qui l’on remet plus, est celui-là même qui aime plus. » Pécheurs, songez à vos péchés ; mais songez surtout à accroître votre amour. Qu’il soit en proportion de la grâce du pardon que vous allez recevoir, et « vos péchés vous seront remis ».
Nous terminerons cette journée par cette Hymne touchante du Bréviaire Mozarabe.