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14 avril 2017 5 14 /04 /avril /2017 05:00

Vendredi Saint

AU MATIN.

 

Le soleil s’est levé sur Jérusalem ; mais les pontifes et les docteurs de la loi n’ont pas attendu sa lumière pour satisfaire leur haine contre Jésus. Anne, qui avait d’abord reçu l’auguste prisonnier, l’a fait conduire chez son gendre Caïphe. L’indigne pontife a osé faire subir un interrogatoire au Fils de Dieu. Jésus, dédaignant de répondre, a reçu un soufflet d’un des valets. De faux témoins avaient été préparés ; ils viennent déposer leurs mensonges à la face de celui qui est la Vérité ; mais leurs témoignages ne s’accordent pas. Alors le grand-prêtre, voyant que le système qu’il a adopté pour convaincre Jésus de blasphème n’aboutit qu’à démasquer les complices de sa fraude, veut tirer de la bouche même du Sauveur le délit qui doit le rendre justiciable de la Synagogue. « Je vous adjure, parle Dieu vivant, de répondre. Êtes-vous le Christ Fils de Dieu 39 ? » Telle est l’interpellation que le pontife adresse au Messie. Jésus, voulant nous apprendre les égards qui sont dus à l’autorité, aussi longtemps qu’elle en conserve les titres, sort de son silence, et répond avec fermeté : « Vous l’avez dit : je le suis ; au reste, je vous déclare qu’un jour vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Vertu de Dieu, et venant sur les nuées du ciel 40 . » A ces mots, le pontife sacrilège se lève, il déchire ses vêtements, et s’écrie : « Il a blasphémé ! qu’avons-nous besoin de témoins ? Vous venez d’entendre le blasphème, que vous en semble ? » De toutes parts, dans la salle, on crie : « Il mérite la mort 41 ! »

Le propre Fils de Dieu est descendu sur la terre pour rappeler à la vie l’homme qui s’était précipité dans la mort ; et par le plus affreux renversement, c’est l’homme qui, en retour d’un tel bienfait, ose traduire à son tribunal ce Verbe éternel, et le juge digne de mort. Et Jésus garde le silence, et il n’anéantit pas dans sa colère ces hommes aussi audacieux qu’ils sont ingrats! Répétons en ce moment ces touchantes paroles par lesquelles l’Église Grecque interrompt souvent aujourd'hui la lecture du récit de la Passion : « Gloire à votre patience, Seigneur ! »

A peine ce cri épouvantable : « Il mérite la mort ! » s’est-il fait entendre, que les valets du grand-prêtre se jettent sur Jésus. Ils lui crachent au visage, et lui ayant ensuite bandé les yeux, ils lui donnent des soufflets, en lui disant : « Prophète, devine qui t’a frappé 42 . » Tels sont les hommages de la Synagogue au Messie dont l’attente la rend si fière. La plume hésite à répéter le récit de tels outrages faits au Fils de Dieu ; et cependant ceci n’est que le commencement des indignités qu’a dû subir le Rédempteur.

Dans le même temps, une scène plus affligeante encore pour le cœur de Jésus se passe hors de la salle, dans la cour du grand-prêtre. Pierre, qui s’y est introduit, se trouve aux prises avec les gardes et les gens de service, qui l’ont reconnu pour un Galiléen de la suite de Jésus. L’Apôtre, déconcerté et craignant pour sa vie, abandonne lâchement son maître, et va jusqu’à affirmer par serment qu’il ne le connaît même pas. Triste exemple du châtiment réservé à la présomption ! Mais, o miséricorde de Jésus ! les valets du grand-prêtre l’entraînent vers le lieu où se tenait l’Apôtre ; il lance sur cet infidèle un regard de reproche et de pardon ; Pierre s’humilie et pleure. Il sort à ce moment de ce palais maudit ; et désormais tout entier à ses regrets, il ne se consolera plus qu’il n’ait revu son maître ressuscité et triomphant. Qu’il soit donc notre modèle, ce disciple pécheur et converti, en ces heures de compassion où la sainte Église veut que nous soyons témoins des douleurs toujours croissantes de notre Sauveur ! Pierre se retire ; car il craint sa faiblesse ; restons, nous, jusqu’à la fin ; nous n’avons rien à redouter ; et daigne le regard de Jésus, qui fond les cœurs les plus durs, se diriger vers nous !

Cependant les princes des prêtres, voyant que le jour commence à luire, se disposent à traduire Jésus devant le gouverneur romain. Ils ont instruit sa cause comme celle d’un blasphémateur, mais il n’est pas en leur pouvoir de lui appliquer la loi de Moïse, selon laquelle il devrait être lapidé. Jérusalem n’est plus libre, et ses propres lois ne la régissent plus. Le droit de vie et de mort n’est plus exercé que par les vainqueurs, et toujours au nom de César. Commentées pontifes et ces docteurs ne se rappellent-ils pas en ce moment l’oracle de Jacob mourant, qui déclara que le Messie viendrait, lorsque le sceptre serait enlevé à Juda ? Mais une noire jalousie les a égarés ; et ils ne sentent pas non plus que le traitement qu’ils vont faire subir à ce Messie se trouve décrit par avance dans les prophéties qu’ils lisent et dont ils sont les gardiens.

Le bruit qui se répand dans la ville que Jésus a été saisi cette nuit, et qu’on se dispose à le traduire devant le gouverneur, arrive aux oreilles du traître Judas. Ce misérable aimait l’argent ; mais il n’avait aucun motif de désirer la mort de son maître. Il connaissait le pouvoir surnaturel de Jésus, et se flattait peut-être que les suites de sa trahison seraient promptement arrêtées par celui à qui la nature et les éléments ne résistaient jamais. Maintenant qu’il voit Jésus aux mains de ses plus cruels ennemis, et que tout annonce un dénouement tragique, un remords violent s’empare de lui ; il court au Temple, et va jeter aux pieds des princes des prêtres ce fatal argent qui a été le prix du sang. On dirait que cet homme est converti, et qu’il va implorer son pardon. Hélas ! il n’en est rien. Le désespoir est le seul sentiment qui lui reste, et il a hâte d’aller mettre fin à ses jours. Le souvenir de tous les appels que Jésus fit à son cœur, hier encore, durant la Cène et jusque dans le jardin, loin de lui donner confiance, ne sert qu’à l’accabler; et pour avoir douté d’une miséricorde qu’il devrait cependant connaître, il se précipite dans l’éternelle damnation, au moment même où le sang qui lave tous les crimes a déjà commencé découler.

Or les princes des prêtres, conduisant avec eux Jésus enchaîne, se présentent au gouverneur Pilate, demandant d’être entendus sur une cause criminelle. Le gouverneur paraît, et leur dit avec une sorte d’ennui : « Quelle accusation apportez-vous contre cet homme ?— Si ce n’était pas un malfaiteur, répondent-ils, nous ne vous l’aurions pas livré. » Le mépris et le dégoût se trahissent déjà dans les paroles du gouverneur, et l’impatience dans la réponse que lui adressent les princes des prêtres. On voit que Pilate se soucie peu d’être le ministre de leurs vengeances : « Prenez-le, leur dit-il, et jugez-le selon votre loi. — Mais, répondent ces hommes de sang, il ne nous est pas permis de faire mourir personne 43 . »

Pilate, qui était sorti du Prétoire pour parler aux ennemis du Sauveur, y rentre et fait introduire Jésus. Le Fils de Dieu et le représentant du monde païen sont en présence. « Êtes-vous donc le roi des Juifs ? demande Pilate.— Mon royaume n’est pas de ce monde, répond Jésus ; il n’a rien de commun avec ces royaumes formés parla violence ; sa source est d’en haut. Si mon royaume était de ce monde, j’aurais des soldats qui ne m’eussent pas laissé tomber au pouvoir des Juifs. Bientôt, à mon tour, j’exercerai l’empire terrestre; mais à cette heure mon royaume n’est pas d’ici bas.— Vous êtes donc roi, enfin ? reprend Pilate. — Oui, je suis roi, » dit le Sauveur. Après avoir confessé sa dignité auguste, l’Homme-Dieu fait un effort pour élever ce Romain au-dessus des intérêts vulgaires de sa fortune; il lui propose un but plus digne de l’homme que la recherche des honneurs de la terre. « Je suis venu en ce monde, lui dit-il, pour rendre témoignage à la Vérité; quiconque est de la Vérité écoute ma voix. — Et qu’est-ce que la Vérité ? » reprend Pilate ; et sans attendre la réponse à sa question, pressé d’en finir, il laisse Jésus, et va retrouver les accusateurs. « Je ne reconnais en cet homme aucun crime 44 , » leur dit-il. Ce païen avait cru rencontrer en Jésus un docteur de quelque secte juive dont les enseignements ne valaient pas la peine d’être écoutés, mais en même temps un homme inoffensif dans lequel on ne pouvait, sans injustice, chercher un homme dangereux.

A peine Pilate a-t-il exprimé son avis favorable sur Jésus, qu’un amas d’accusations est produit contre ce Roi des Juifs par les princes des prêtres. Le silence de Jésus, au milieu de tant d’atroces mensonges, émeut le gouverneur :« Mais n’entendez-vous pas, lui dit-il, tout ce qu’ils disent contre vous ? » Cette parole, d’un intérêt visible, n’enlève point Jésus à son noble silence; mais elle provoque de la part de ses ennemis une nouvelle explosion de fureur. « Il agite le peuple, s’écrient les princes des prêtres; il va prêchant dans toute la Judée, depuis la Galilée jusqu’ici 45 . » Dans ce mot de Galilée, Pilate croit voir un trait de lumière. Hérode, tétrarque de Galilée, est en ce moment à Jérusalem. Il faut lui remettre Jésus; il est son sujet ; et cette cession d’une cause criminelle débarrassera le gouverneur, en même temps qu’elle rétablira la bonne harmonie entre Hérode et lui.

Le Sauveur est donc traîné dans les rues de Jérusalem, du Prétoire au palais d’Hérode. Ses ennemis l’y poursuivent avec la même rage, et Jésus garde le même silence. Il ne recueille là que le mépris du misérable Hérode, du meurtrier de Jean-Baptiste ; et bientôt les habitants de Jérusalem le voient reparaître sous la livrée d’un insensé, entraîné de nouveau vers le Prétoire. Ce retour inattendu de l’accusé contrarie Pilate ; cependant il croit avoir trouvé un nouveau moyen de se débarrasser de cette cause qui lui est odieuse. La fête de Pâque lui fournit occasion de gracier un coupable ; il va essayer de faire tomber cette faveur sur Jésus. Le peuple est ameuté aux portes du Prétoire ; il n’y a qu’à mettre en parallèle Jésus, ce même Jésus que la ville a vu conduire en triomphe il y a quelques jours, avec Barabbas, ce malfaiteur qui est un objet d’horreur pour Jérusalem; le choix du peuple ne peut manquer d’être favorable à Jésus. « Qui voulez-vous que je vous délivre, leur dit-il, de Jésus ou de Barabbas ? » La réponse ne se fait pas attendre ; des voix tumultueuses s’écrient : « Non Jésus, mais Barabbas ! — Que faire donc de Jésus ? reprend le gouverneur interdit. — Crucifiez-le ! — Mais quel mal a-t-il fait? Je vais le châtier, et je le renverrai ensuite. — Non, non; crucifiez-le 46 ! »

L’épreuve n’a pas réussi ; et la situation du lâche gouverneur est devenue plus critique qu’auparavant. En vain il a cherchée ravaler l’innocent au niveau d’un malfaiteur; la passion d’un peuple ingrat et soulevé n’en a tenu aucun compte. Pilate est réduit à promettre qu’il va faire châtier Jésus d’une manière assez barbare pour étancher un peu la soif de sang qui dévore cette populace; mais il n’a fait que provoquer un nouveau cri de mort.

N’allons pas plus loin sans offrir au Fils de Dieu une réparation pour l’indigne outrage dont il vient d’être l’objet. Mis en balance avec un homme infâme, c’est ce dernier qu’on lui préfère. Si Pilate essaie par pitié de lui sauver la vie. c’est à condition de lui faire subir cette ignoble comparaison, et c’est en pure perte. Les voix qui chantaient Hosannah au fils de David, il y a quelques jours, ne font plus entendre que des hurlements féroces; et le gouverneur, qui craint une sédition, a osé promettre de punir celui dont il a tout à l’heure confessé l’innocence.

Jésus est livré aux soldats pour être flagellé par eux. On le dépouille avec violence de ses vêtements, et on l’attache à la colonne qui servait pour ces exécutions. Les fouets les plus cruels sillonnent son corps tout entier, et le sang coule par ruisseaux le long de ses membres divins. Recueillons cette seconde effusion du sang de notre Rédempteur, par laquelle Jésus expie pour l’humanité tout entière les complaisances et les crimes de la chair. C’est par la main des Gentils que ce traitement lui est inflige ; les Juifs l’ont livré, et les Romains sont les exécuteurs ; tous nous avons trempé dans l’affreux déicide.

Mais cette soldatesque est lasse enfin de frapper ; les bourreaux détachent leur victime , en auront-ils enfin pitié ? Non, ils vont faire succéder a tant de cruauté une dérision sacrilège. Jésus a été appelé le Roi des Juifs ; les soldats prennent occasion de ce titre pour donner une forme nouvelle à leurs outrages. Un roi porte la couronne ; les soldats vont en imposer une au fils de David. Tressant à la hâte un horrible diadème avec des branches d’arbrisseaux épineux, ils la lui enfoncent sur la tête, et pour la troisième fois, le sang de Jésus coule avec abondance. Puis, afin de compléter l’ignominie, les soldats lui jettent sur les épaules un manteau de pourpre, et placent dans sa main un roseau, en guise de sceptre. Alors ils se mettent a genoux devant lui, et disent: « Roi des Juifs, salut ! » Et cet hommage insultant est accompagné de soufflets sur le visage de l’Homme-Dieu, et d’infâmes crachats ; et de temps en temps on lui arrache le roseau des mains pour l’en frapper sur la tête, afin d’enfoncer toujours davantage les cruelles épines dont elle est ceinte.

A ce spectacle, le chrétien se prosterne dans un douloureux respect, et dit à son tour. « Roi des Juifs, salut ! Oui, vous êtes le fils de David, et à ce titre, notre Messie et notre Rédempteur. Israël renie votre royauté qu’il proclamait naguère ; la gentilité n’y trouve qu’une occasion de plus pour vous outrager ;mais vous n’en régnerez pas moins par la justice sur Jérusalem, qui ne tardera pas à sentir le poids de votre sceptre vengeur; parla miséricorde sur les Gentils, que bientôt vos Apôtres amèneront à vos pieds. En attendant, recevez notre hommage et notre soumission. Régnez dès aujourd’hui sur nos cœurs et sur notre vie tout entière. »

On conduit Jésus à Pilate dans l’affreux état où l’a mis la cruauté des soldats. Le gouverneur ne doute pas qu’une victime réduite aux abois n’obtienne grâce devant le peuple ; et faisant monter avec lui le Sauveur à une galerie du palais, il le montre à la multitude, en disant : « Voilà l’homme 47 ! » Cette parole était plus profonde que ne le croyait Pilate II ne disait pas : Voilà Jésus, ni voilà le Roi des Juifs ; il se servait d’une expression générale dont il n’avait pas la clef, mais dont le chrétien possède l’intelligence. Le premier homme, dans sa révolte contre Dieu, avait bouleversé, par son péché. l’œuvre entière du Créateur; en punition de son orgueil et de sa convoitise, la chair avait asservi l’esprit ; et la terre elle-même. en signe de malédiction, ne produisait plus que des épines. Le nouvel homme qui porte, non la réalité, mais la ressemblance du péché, paraît ; et l’œuvre du Créateur reprend en lui son harmonie première ; mais c’est par la violence. Pour montrer que la chair doit être asservie à l’esprit, la chair en lui est brisée sous les fouets ; pour montrer que l’orgueil doit céder la place à l’humilité, s’il porte une couronne, ce sont les épines de la terre maudite qui la forment sur sa tête. Triomphe de l’esprit sur les sens, abaissement de la volonté superbe sous le joug de la sentence : voilà l’homme.

Israël est comme le tigre; la vue du sang irrite sa soif; il n’est heureux qu’autant qu’il s’y baigne. A peine a-t-il aperçu sa victime ensanglantée, qu’il s’écrie avec une nouvelle fureur: « Crucifiez-le ! crucifiez-le ! —Eh bien ! dit Pilate, prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; pour moi. je ne trouve aucun crime en lui. » Et cependant on l’a mis. par son ordre, dans un état qui, à lui seul, peut lui causer la mort. Sa lâcheté sera encore déjouée. Les Juifs répliquent en invoquant le droit que les Romains laissaient aux peuples conquis : « Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir; car il s’est dit le Fils de Dieu. » A cette réclamation. Pilate se trouble ; il rentre dans la salle avec Jésus, et lui dit : « D’où êtes-vous ? » Jésus se tait ; Pilate n’était pas digne d’entendre le Fils de Dieu lui rendre raison de sa divine origine. Il s’irrite cependant : « Vous ne me répondez pas ? dit-il; ne savez-vous pas que j’ai le pouvoir de vous crucifier, et le pouvoir de vous absoudre ? » Jésus daigne parler ; et c’est pour nous apprendre que tome puissance de gouvernement, même chez les infidèles, vient de Dieu, et non de ce qu’on appelle le pacte social : « Vous n’auriez pas ce pouvoir, répondit-il, s’il ne vous avait été donné d’en haut : c’est pour cela que le pêche de celui qui m’a livré à vous est d’autant plus grand 48 . »

La noblesse et la dignité de ces paroles subjuguent le gouverneur ; et il veut encore essayer de sauver Jésus. Mais les cris du peuple pénètrent de nouveau jusqu’à lui : « Si vous le laissez aller, lui dit-on. vous n’êtes pas l’ami de César. Quiconque se fait roi, se déclare contre César. » A ces paroles, Pilate. essayant une dernière fois de ramener à la pitié ce peuple furieux, sort de nouveau, et monte sur un siège en plein air; il s’assied et fait amener Jésus: « Le voilà, dit-il, votre roi; voyez si César a quelque chose à craindre de lui. » Mais les cris redoublent: « Ôtez-le ! ôtez-le ! Crucifiez-le ! — Mais, dit le gouverneur, qui affecte de ne pas voir la gravite du péril, crucifierai-je donc votre roi ? » Les Pontifes répondent : « Nous n’avons point d’autre roi que César 49 . » Parole indigne qui, lorsqu’elle sort du sanctuaire, annonce aux peuples que la foi est en péril: eu même temps parole de réprobation pour Jérusalem; car si elle n’a pas d’autre roi que César, le sceptre n’est plus dans Juda. et l’heure du Messie est arrivée.

Pilate, voyant que la sédition est au comble, et que sa responsabilité de gouverneur est menacée, se résout à abandonner Jésus à ses ennemis. Il porte enfin quoique à contre-cœur, cette sentence qui doit produire en sa conscience un affreux remords dont bientôt il cherchera la délivrance dans le suicide. Il trace lui-même sur une tablette, avec un pinceau, l’inscription qui doit être placée au-dessus de la tête de Jésus. Il accorde même à la haine des ennemis du Sauveur que, pour une plus grande ignominie, deux voleurs seront crucifies avec lui. Ce trait était nécessaire à l’accomplissement de l’oracle prophétique: il sera mis au rang des scélérats 50 .» Puis, lavant ses mains publiquement, à ce moment où il souille son âme du plus odieux forfait, il s’écrie en présence du peuple: « Je suis innocent du sang de ce juste: cela vous regarde. » Et tout le peuple répond par ce souhait épouvantable: « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants 51 . » Ce fut le moment où le signe du parricide vint s’empreindre sur le front du peuple ingrat et sacrilège, comme autrefois sur celui de Caïn ; dix-huit siècles de servitude, de misère et de mépris ne l’ont pas effacé. Pour nous, enfants de la gentilité, sur lesquels ce sang divin est descendu comme une rosée miséricordieuse, rendons grâce à la bonté du Père céleste, qui « a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique 52 » ; rendons grâces à l’amour de ce Fils unique de Dieu, qui, voyant que nos souillures ne pouvaient être lavées que dans son sang, nous le donne aujourd’hui jusqu’à la dernière goutte.

Ici commence la Voie douloureuse, et le Prétoire de Pilate, où fut prononcée la sentence de Jésus, en est la première Station. Le Rédempteur est abandonné aux Juifs par l’autorité du gouvernent. Les soldais s,’empare m de lui et l’emmènent hors de la cour du Prétoire. Ils lui enlèvent le manteau de pourpre, et le revêtent de ses vêtements qu’ils lui avaient ôtés pour le flageller ; enfin ils chargent la croix sur ses épaules déchirées. Le lieu où le nouvel Isaac reçut ainsi le bois de son sacrifice est désigné comme la seconde Station. La troupe des soldats, renforcée des exécuteurs, des princes des prêtres, des docteurs de la loi, d’un peuple immense, se met en marche. Jésus s’avance sous le fardeau de sa croix; mais bientôt, épuisé par le sang qu’il a perdu et par les souffrances de tout genre, il ne peut plus se soutenir, et tombant sous le faix, il marque par sa chute la troisième Station.

Les soldats relèvent avec brutalité le divin captif qui succombait plus encore sous le poids de nos péchés que sous celui de l’instrument de son supplice. Il vient de reprendre sa marche chancelante, lorsque tout à coup sa mère éplorée se présente à ses regards. La femme forte, dont l’amour maternel est invincible, s’est rendue sur le passage de son fils ; elle veut le voir, le suivre, s’attacher à lui, jusqu’à ce qu’il expire. Sa douleur est au-dessus de toute parole humaine ; les inquiétudes de ces derniers jours ont déjà épuisé ses forces ; toutes les souffrances de son fils lui ont été divinement manifestées ; elle s’y est associée, et elle les a toutes endurées une à une. Mais elle ne peut plus demeurer loin du regard des hommes ; le sacrifice avance dans son cours, la consommation est proche ; il lui faut être avec son fils, et rien ne la pourrait retenir en ce moment. La fidèle Madeleine est près d’elle, noyée dans ses pleurs; Jean. Marie mère de Jacques avec Salomé, l’accompagnent aussi ; ils pleurent sur leur maître ; mais elle, c’est sur son fils qu’elle pleure. Jésus la voit, et il n’est pas en son pouvoir de la consoler, car tout ceci n’est encore que le commencement des douleurs. Le sentiment des angoisses qu’éprouve en ce moment le cœur de la plus tendre des mères vient oppresser d’un nouveau poids le cœur du plus aimant des fils. Les bourreaux n’accorderont pas un moment de retard dans la marche, en faveur de cette mère d’un condamné ; elle peut se traîner, si elle le veut. à la suite du funeste convoi : c’est beaucoup pour eux qu’ils ne la repoussent pas ; mais la rencontre de Jésus et de Marie sur le chemin du Calvaire désignera pour jamais la quatrième Station.

La route est longue encore ; car, selon la loi, les criminels devaient subir leur supplice hors des portes de la ville. Les Juifs en sont à craindre que la victime n’expire avant d’être arrivée au lieu du sacrifice. Un homme qui revenait de la campagne. nommé Simon de Cyrène, rencontre le douloureux cortège ; on l’arrête, et. par un sentiment cruellement humain envers Jésus, on oblige cet homme à partager avec lui l’honneur et la fatigue de porter l’instrument du salut du monde. Cette rencontre de Jésus avec Simon de Cyrène consacre la cinquième Station.

A quelques pas de là. un incident inattendu vient frapper d’étonnement et de stupeur jusqu’aux bourreaux eux-mêmes. Une femme fend la foule, écarte les soldats et se précipite jusqu’auprès du Sauveur Elle tient entre ses mains son voile qu’elle a détache, et elle en essuie d’une main tremblante le visage de Jésus, que le sang, la sueur et les crachats avaient rendu méconnaissable. Elle l’a reconnu cependant, parce qu’elle l’a aime ; et elle n’a pas craint d’exposer sa vie pour lui offrir ce léger soulagement. Son amour sera récompensé : la face du Rédempteur, empreinte par miracle sur ce voile, en fera désormais son plus cher trésor ; et elle aura eu la gloire de désigner, par son acte courageux, la sixième Station de la Voie douloureuse.

Cependant les forces de Jésus s’épuisent de plus en plus, à mesure que Ton approche du terme fatal. Une subite défaillance abat une seconde fois la victime, et marque la septième Station. Jésus est bientôt relève avec violence par les soldats, et se traîne de nouveau sur le sentier qu’il arrose de son sang. Tant d’indignes traitements excitent des cris et des lamentations dans un groupe de femmes qui, émues de compassion pour le Sauveur, s’étaient mises à la suite des soldats et avaient bravé leurs insultes. Jésus, touché de l’intérêt courageux de ces femmes qui, dans la faiblesse de leur sexe, montraient plus de grandeur d’âme que le peuple entier de Jérusalem, leur adresse un regard de bonté, et reprenant toute la dignité de son langage de prophète, il leur annonce, en présence des princes des prêtres et des docteurs de la loi. l’épouvantable châtiment qui suivra bientôt l’attentat dont elles sont témoins, et qu’elles déplorent avec tant de larmes. « Filles de Jérusalem, leur dit-il. à cet endroit même qui est compté pour la huitième Station ; filles de Jérusalem ! ce n’est pas sur moi qu’il faut pleurer ; c’est sur vous et sur vos enfants ; car il viendra des jours où l’on dira : Heureuses les stériles, et les entrailles qui n’ont point porté, et les mamelles qui n’ont point allaité ! Alors ils diront aux montagnes : Tombez sur nous; et aux collines : Couvrez-nous ; mais si l’on traite ainsi le bois vert aujourd’hui, comment alors sera traité le bois sec 53 ?

Enfin on est arrivé au pied de la colline du Calvaire, et Jésus doit encore la gravir avant d’arriver au lieu de son sacrifice. Une troisième fois son extrême fatigue le renverse sur la terre, et sanctifie la place où les fidèles vénéreront la neuvième Station. La soldatesque barbare intervient encore pour faire reprendre à Jésus sa marche pénible, et après bien des coups il parvient enfin au sommet de ce monticule qui doit servir d’autel au plus sacré et au plus puissant de tous les holocaustes. Les bourreaux s’emparent de la croix et vont l’étendre sur la terre, en attendant qu’ils y attachent la victime. Auparavant, selon l’usage des Romains, qui était aussi pratiqué par les Juifs, on offre à Jésus une coupe qui contenait du vin mêlé de myrrhe. Ce breuvage, qui avait l’amertume du fiel, était un narcotique destiné à engourdir jusqu’à un certain point les sens du patient, et à diminuer les douleurs de son supplice. Jésus touche un moment de ses lèvres cette potion que la coutume, plutôt que l’humanité, lui faisait offrir; mais il refuse d’en boire, voulant rester tout entier aux souffrances qu’il a daigné accepter pour le salut des hommes. Alors les bourreaux lui arrachent avec violence ses vêtements colles à ses plaies, et s’apprêtent à le conduire au lieu où la croix l’attend. L’endroit du Calvaire où Jésus fut ainsi dépouillé, et où on lui présenta le breuvage amer, est désigné comme la dixième Station de la Voie douloureuse. Les neuf premières sont encore visibles dans les rues de Jérusalem, de l’emplacement du Prétoire jusqu’au pied du Calvaire ; mais cette dernière, ainsi que les quatre suivantes, sont dans l’intérieur de l’Église du Saint-Sépulcre, qui renferme dans sa vaste enceinte le théâtre des dernières scènes de la Passion du Sauveur.

Mais il nous faut suspendre ce récit ; déjà même nous avons devance un peu les heures de cette grande journée, et nous avons à revenir plus tard sur le Calvaire. Il est temps de nous unir à la sainte Église dans la lugubre fonction par laquelle elle s’apprête à célébrer le trépas de son divin Époux. L’airain sacré ne convoquera pas aujourd’hui les fidèles à la maison de Dieu; la foi et la componction seules les invitent a franchir au plus tôt les degrés du temple

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