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16 juillet 2021 5 16 /07 /juillet /2021 08:46
VACHE NORMANDE

VACHE NORMANDE

Suite

 

Les conseils du père, n’étaient pas seulement des recettes de bagarres, des leçons d’assaut ; le lutteur semblait guider son jeune homme plutôt vers l’administration que vers la conquête. La conquête il y avait suffi ; à l’héritier de s’agrandir, certes ; si possible de l’arrondir, de profiter des faiblesses et des déconfitures limitrophes, des malheurs hautains du marquis de Ghauville aussi bien que de la soulerie ruineuse du vieux Caillebote. Mais on attendait surtout qu’il améliorât, qu’il perfectionnât. Norbert Lefebvre avait acquis du savoir ; il était licencié en droit, juste ce qu’il eût fallu pour l’étude à acheter, mais devant l’accroissement du bien, le père avait renoncé au notariat ; «  Faut trop de coups de chapeau », disait-il, « fait meilleur sur ton bien qu’autour de celui des autres. Tu as assez appris pour tourner toi-même la loi… »

Les recommandations du bonhomme n’étaient pas sans grandeur ; il appréciait le cossu plus que le gracieux, et le solide plus que le délicat, mais le goût qu’il l’avait enrichi, le goût des beaux animaux, lui donnait une sorte d’idéal rural déterminé, qui aboutissait à une beauté, aussi, à une mise en valeur de son domaine qu’il parait comme on le fait d’un cheval qu’on va vendre. Il avait commencé par les étables ; ce qui serait au fils de mettre l’habitation à la hauteur des communs. Lui, avait aménagé ses prés baignant et ses prés de noë (prairies de plateau), le fils aurait à créer des jardins, et une manière de parc : «  Ne lésine jamais ; tu ne regrettes jamais d’avoir acheté au plus cher de chez le marchand ; paie ton monde, toujours, au-dessus du cours… »

Son goût de l’ordre et de la surveillance le guidait mystérieusement. Il groupa ses dépendances ; lui qui n’avait rien vu que des marchés, il créa une demeure à la Louis XIV, tout simplement, utilisant, faisant de ses communs un point de vue, architecturalement, pour les avoir sous son œil dès le lever, dès l’emission matinale.

 

III

 

Cependant quand la fin s’annonça, Anatole Lefebvre, comme cela arrive souvent aux grands jouteurs, s’était pris d’une sorte d’indifférence pour le temporel. Ses derniers mois auraient pu être utilement employés, mais tout cela semblait ne plus avoir pour lui ni attrait ni poids. Et, par une pudeur qui les classait déjà, la mère et le fils ne lui parlèrent de rien ; ils ne parlèrent même pas entre eux de l’avenir. Le souci du malade les dominait et une sorte de fatalisme très normand, qui va de pair avec les plus violentes réactions. Tout laisser choir, ou s’accrocher désespérément, voilà les deux manières de nos gens en face du Malheur.

Ce qu’ils trouvèrent, d’ailleurs, était rassurant ; peut-être que la conviction qu’ils en gardaient avait aidé à leur désintéressement, car l’homme reste l’homme. La cache avait été nourrie sans relâche ; une somme énorme et secrète, en or, les garanties contre tout souci réel, et le flottant devait être aisément stabilisé. Ils tinrent enfin une sorte de conseil de cabinet, à cette transmission de pouvoirs qui les investissait d’une autorité nouvelle. La mère opinait pour temporiser, quant aux créances ; de permettre une sorte de trêve en l’honneur du créancier nouveau, à la manière des remises de dettes que faisaient les rois en don de joyeux avènement, mais Norbert s’y refusa : «  C’aurait été », dit-il, « paraître juger le père, et faire penser qu’il allait trop fort ». La mère s’inclina et retrouva bientôt sa gaieté effervescente, avec, seulement, une petite fêlure, plus visible le soir.

Norbert fit lui-même les recouvrements. Mais il les fit à cheval ; son père avait aussi trafiqué en maquignon, et le fils était bon cavalier, mis à califourchon dès ses dix ans, sur les gros percherons de labour ; à quinze, sur un cheval de prix. Natole avait voulu que le fieu trouvât son plaisir sur SA terre. Alors, les recouvrements devinrent des promenades et cela les modifiait ; le cheval, sa gaieté, sa générosité, son ardeur, s’interposait aussi. Les revendications de Norbert y perdirent de leur âcreté ; au fond de lui-même, l’indulgence se fomentait sans qu’il en laissât encore rien paraître. Il se sentait vaguement dans une position familiale à l’égard de ses débiteurs qui peinaient, s’inquiétaient ; il leur faisait les «  gros yeux », sans plus.

Moment difficile pour la culture ; les années qui suivirent immédiatement le traité de Versailles avaient été abondantes ; puis la crise était venue, les crises, qui atteignirent en plein le cultivateur. Il fallait donner, aux privilégiés de l’Etat, ouvriers et citadins, une pitance riche et bon marché ; la hausse des produits agricoles ne suivait pas celles des produits manufacturés ; on tapait sur le paysan. Norbert fit vendre un défaillant, de manière à rependre la tradition énergique, et, avec des colères bien jouées, laissa du répit à tous les autres.

Mais il ne put continuer – il ne pouvait continuer – le métier paternel ; il n’était pas à l’aise dans les marchés, de cette aise qui dépasse la liberté intime, qui est vraiment une jubilation, un lyrisme. Natole sentait sa force décupler à la vue d’un champ de foire dont il embrassait l’abondance comme un acteur, une salle enthousiaste. Norbert n’était que jugement et froideur. Et puis, les camarades l’ennuyaient, les confères utiles…

Il franchit l’étape et, de revendeur, devint producteur. Toujours servi par le flair hérité, il comprit la tendance générale qui pousse aujourd’hui à la bête de choix. Il n’eut que des laitières sélectionnées et de haute race. Sa réputation était faite quand l’autre guerre se déclencha.

 

°°°

 

CHRONIQUE DU TEMPS PASSE
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