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15 juillet 2021 4 15 /07 /juillet /2021 07:29

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Pour sa femme, Natole avait du respect, caché, comme tous ses sentiments profonds, mais certain. Il la trompait, évidemment, dans ses voyages et virées, parce que le métier ne rend pas farouche et qu’un fort vieau ne profite qu’à changer d’herbage ; mais, comme il sied, jamais chez lui ni près de chez lui. La femme était une grande gaillarde fidèle, chevaline, osseuse et gaie, dont la large goule s’allongeait, toujours prête à rire, aux côtés d’un maître qui ne riait que sinistrement. Je crois qu’il ne s’habitua jamais à ces manières-là, où il devinait une supériorité native, un héritage d’anciens laboureurs-propriétaires, qui ont depuis longtemps du bien et ne s’en font pas. Sa femme l’épatait toujours, avec sa façon de « prendre les choses »… Quand il dut renoncer, en 1928, mourant du cœur comme un banquier, et se coucha, et qu’il vit sa bourgeoise rester songeuse : « … Mélanie ne rioche point », se dit-il, « j’suis baisé : j’vas faire une veuve… » En effet, il l’était… Deux mois après, Anatole trépassait, gavé de cliquot, de foie gras, de langouste, mais confessé, extrémisé sur sa demande personnelle, à son exigence : «  J’veux tout le saint-frusquin, comme le bourrelier… »

A l’égard de son fils, on ne savait trop ses sentiments, car il ne l’embrassait qu’au Nouvel An et aux distributions de prix. Cependant, il devait le chérir à sa manière. Il se surprenait à lui vanter son bien futur : Natole, qui ne soufflait mot de ses affaires, ouvrait à son éfant des perspectives dorées… Il lui commentait le domaine dont il le rendait maître.

 

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Son premier achat luxueux, et qu’il fit au nom de son fils, avait été une superbe futaie de hêtres qu’un châtelain, ruiné par la vie de Paris, devait vendre. Les arbres avoisinaient la maison de Natole, une propriété où il avait joué enfant, chez sa tante, et qu’il avait rachetée et agrandie. Réellement, cette acquisition fut son premier acte d’orgueil, sa déclaration de réussite, car, ces arbres, il les acheta pour les respecter ; ils étaient en pleine venue, bons à couper, arrivés à terme, mais, pour tout homme de cœur, leur beauté, leur situation, plaidaient. Ils garnissaient la colline et descendaient jusqu’à la rivière ; leur hauteur massive était visible de cinq kilomètres ; ils changeaient le nivellement de la vallée, et paraissaient, de loin, un rehaussement montagnard, un éperon de falaise. Trois cent vingt-sept colonnes fourbies, orgues terrestres et géantes, trois hectares d’allées d’argile rose et voûtés d’étain gris. « Tu pourras fumer l’cigare à l’abri des vents, et y tirer la grolle de Mai… » La futaie de Natole, c’était sa bague au doigt ! Ç’avait fait sensation : Natole, qui s’établissait en grand !

Les champs et les près s’agglomérèrent encore ; plus de monnaie chez les notaires, mais un compte à la Banque de France, s’il vous plait ! (« … sont de fesse-mathieux et des faiseurs d’embarras, mais, ça en jette ! ») et plusieurs milliers de louis d’or, de napoléons, bien muchés, dont sa femme, et Norbert, quand il eut vingt et un ans, connurent la cache. Le souvenir de Me Baguier l’avait rendu défiant, et, les biens réels, il les amassait à pleines poignées, à plains bras, emporté par son instinct. Il est possible que ce fût en son fils, par son fils, que Natole jouît de sa richesse. Le père n’avait pas le temps de savourer, de goûter même, les plaisirs de la fortune ; il n’en appréciait que la chaleur obscure, que la certitude sourde, avec cette méfiance des joueurs qui ne veulent point se résoudre à compter leur gain. Il en avait l’obsession. Pour ce fabricateur d’argent, sa fabrication restait le seul agrément ; le désir de gagner le jetait sur les routes, lui faisait passer les nuits, le projetait… Sa femme lui disait : « Repose-toi, Natole, tu finiras par te périr ! » Il haussait les épaules, sans se dégager pourtant d’une petite angoisse : comme si ça se pouvait, quand on est pris là-dedans ! S’arrêter, «  arrêter », comme ils disent en supprimant le pronom réfléchi, eut été la mort, aussi bien ; il le sentait. Cette prolifération des achats et des ventes à faire aurait continué ; ses projets, malgré la retraite, et, sans débouchés, l’auraient étouffé comme un mauvais eczéma qu’on vous retire des mains et qui retombe sur la poitrine.

Seules, quelques promenades lentes sur ses terres, où il contemplait son BIEN, son FAIT, paraissaient sa récompense. Son fils le comprenait, et, silencieux, l’écoutait. Le maître allait, parlait, le souffle court, et, à la paysanne, stoppant dès qu’il voulait insister. La promenade des Dimanches de vacances devint une habitude primordiale que l’un et l’autre attendaient, respectaient sans se l’avouer, comme indifféremment, comme si ni l’un ni l’autre n’y attachaient d’importance. Le vieux préparait un règne nouveau et l’héritier le devinait, l’héritier, plus sensible, plus affiné, mais qui se rendait compte de l’immense effort accompli.

 

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