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5 octobre 2021 2 05 /10 /octobre /2021 08:03

suite

 

L’HOMME DE LA NUIT

 

Suite

 

Dehors, il pleuvait doucement. Les rues semblaient abandonnées ; la longue ligne des réverbères qui s’étendait à l’Est et à l’Ouest accentuait cet étrange sentiment de solitude.

 

« Tic-tac, tic-tac », reprit l’appareil avec une sorte de frénésie.

 

L’inspecteur se redressa, attentif. Son fauteuil gémit. Un constable qui se tenait près de la porte avait également entendu cet appel précipité.

 

« Qu’est-ce que c’est, Gil ? » demanda l’inspecteur avec mauvaise humeur.

 

Le constable s’approcha et prit le message.

 

« Ordre à tous les postes d’arrêter Georges Thomas, libéré du bagne : âge, trente-cinq ans ; taille cinq pieds huit pouces ; teint et cheveux foncés ; yeux bruns ; allure distinguée. Soupçonné d’avoir pris part au vol entrepôt Walthamstow et Canning Town, spécialement ; prendre note et accuser réception.

 

                                                                        « Scotland Yard. »

 

«  En pleine nuit ! s’exclama l’inspecteur avec contrariété. Ils m’appellent pour me dire ce que je leur ai dit il y a des heures ! Quelle organisation ! »

 

Il secoua la tête désespérément. Dehors, dans la rue, un homme approchait, sous la pluie fine, les mains enfoncées dans les poches, le col de son pardessus relevé, la tête penchée sur la poitrine. Il traînait ses bottines trempées et ralentit le pas en approchant du poste. L’agent de police qu’il s’attendait à trouver devant la poste était absent.

 

L’homme hésita au pied des marches, puis serra les mâchoires et monta lentement.

 

Il s’arrêta encore dans le couloir qui précédait l’entrée de la salle de garde.

 

« Ça m’étonne de Thomas, prononça la voix de l’inspecteur. Je croyais qu’il essayait de se réformer.

 

- C’est sa femme, monsieur » dit le constable.

 

Il y eut un long silence que rompait seul le bruit du balancier.

 

« Alors, pourquoi sa femme l’a-t-elle dénoncé ? demanda l’inspecteur.

 

- Ah ! c’est elle qui a donné ? »

 

Il y avait de la stupeur dans la voix du constable, mais l’homme dans le couloir nes’en rendit pas compte. Il était appuyé au mur, se tenant la gorge ; son visage maigre, non rasé, était livide, ses mains tremblaient.

 

« C’est elle qui l’a vendu », dit l’inspecteur.

 

Il parlait comme un homme satisfait de divulguer des nouvelles que lui seul savait.

 

« Vous le connaissez ?

- Un peu monsieur, répondit la voix du constable.

 

- Belle créature… Elle aurait pu choisir mieux que Thomas.

 

- Je crois bien que c’est ce qu’elle a fait », déclara sèchement l’agent de police.

 

On les entendit rire tous les deux.

 

«C’est donc pour ça ! Elle veut le savoir sous les verrous ! J’ai connu des cas de ce genre. »

 

L’homme du couloir se glissa dehors. Il tremblait de tout son corps. Il faillit tomber à la dernière marche et se raccrocha à la grille qui longeait l’immeuble.

 

La pluie tombait à verse, mais il ne la sentait pas. Il était assommé, anéanti par ce qu’il venait d’apprendre. Il avait, en effet, cambriolé un entrepôt parce qu’elle s’était moquée de sa tentative de s’amender. Il voulait redevenir honnête, et elle l’avait poussé hors de son chemin… et puis, lorsqu’il avait accompli son vol avec toute sa vieille habileté, sans laisser aucune trace de son identité, voilà qu’elle avait été tout droit à la police pour le dénoncer ! Mais ce n’était rien. Des femmes ont fait ça, déjà par jalousie, dans un accès de rage, se croyant, à tort ou à raison, lésées ; mais elle, elle avait fait cela délibérément parce qu’elle aimait un autre homme.

 

Il avait retrouvé son sang-froid maintenant, voyant les choses très nettement. Il hâta le pas, marchant rapidement et légèrement, la tête haute, comme au temps où il était associé à un coulissier et qu’elle n’était encore qu’une aimable jeune fille qui se délectait à lire des romans.

 

La pluie coulait sur son visage, les manchettes de  sa chemise collaient à ses poignets, son pantalon était trempé des cuisses aux chevilles. Il songeait à une petite boutique de la rue du Commerce, où l’on vendait du beurre, du fromage et du bois de chauffage. Il y avait acheté, pour un penny, du fromage et du pain, et se rappelait que la femme, derrière le comptoir, avait coupé le fromage avec un grand couteau pointu, nouvellement aiguisé… Il réfléchissait tout en se dirigeant vers la boutique. Ces couteaux sont généralement rangés dans un tiroir près e la caisse, avec la scie à jambon et le pèse-lait. Il savait que la boutique était fermée, les volets mis, et il n’avait rien pour forcer la porte. Ses outils avaient été raflés par la police. Il s’était demandé comment elle les avait découverts ; maintenant il savait.

 

Il retint un sanglot.

 

Cependant, il fallait trouver un moyen. Le couteau était nécessaire. Il était encore affaibli par sa dernière période d’incarcération ; il ne pouvait pas la tuer avec ses seules mains… elle était si forte et si belle, oh ! si belle !

 

Ses pensées sans suite se heurtaient dans sa tête, il arriva bientôt devant la boutique. Elle se trouvait dans une petite rue qu’éclairait un seul réverbère. Pas d’autre bruit que celui de la pluie. Personne  en vue. On voyait une imposte au-dessus de la porte ; il constata tout de suite qu’il n’y avait pas d’autre moyen pour enter. Il se hissa sur la plante des pieds pour tâter le bas de l’imposte. Ses doigts rencontrèrent alors un objet sur le rebord. Son cœur bondit. C’était une clé… Il avait bien supposé que la boutique ne comportait pas d’habitation, et il connaissait trop les habitudes de négligence de ces petits boutiquiers pour être surpris de la facilité avec laquelle on pouvait pénétrer sans effraction. Il glissa la clé dans le serrure, la fit tourner et entra, refermant la porte doucement derrière lui.

 

Il faisait chaud à l’intérieur ; cela sentait le renfermé et une odeur de victuailles : de fromage, de jambon et aussi de bois résineux. Il avait des allumettes dans les poches, mais elles étaient trop humides et ne pouvaient pas prendre. Alors tâtonnant sur les étagères, il finit par en trouver une boîte neuve. Il en alluma une, protégeant la flamme d’une main. La boutique avait été balayée et rangée pour la nuit. Un morceau de mousseline enveloppait le beurre posé sur le marbre. Sur le comptoir d’étalait, bien en vue, une feuille de bloc-notes. Des instructions concernant un certain « Fred » y étaient écrites ‘une main malhabile. Il devait allumer le feu, mettre de l’eau à bouillir, prendre le lait et servir Mrs. Smith.

 

Fred était évidemment le garçon qui arrivait le premier, le matin, et pour lequel on laissait la clé au-dessus de la porte. Il était assez surprenant que Thomas réfléchit à ses détails, tout en allumant ses allumettes l’une après l’autre afin de découvrir le couteau pointu fraîchement aiguisé. Il éprouvait une certaine exaltation à se rappeler l’aisance avec laquelle il avait pu s’introduire dans la boutique. Il avait même une folle envie de siffler et de parler.

 

Enfin, il trouva le couteau sous le comptoir, avec une planche à découper fortement entaillée et un « fusil » à aiguiser. Il enveloppa soigneusement le couteau dans un morceau de journal, puis sentit qu’il avait faim. Il détacha un morceau de fromage. Il ne trouva pas de pain, mais s’empara d’une boîte de biscuits entamée. Tenant ses provisions à la main, le couteau en sûreté dans sa poche, il continua son exploration. Il découvrit une arrière-boutique dont la porte n’était pas fermée à clef. Il entra.

 

Après avoir frotté plusieurs allumettes, il se décida à allumer le bec de gaz. Il se trouvait dans une toute petite pièce meublée à bon marché, mais gentiment. Quelques bibelots chinois sans valeur étaient posés sur la cheminée, des lithographies étaient accrochées au mur ; une horloge faisait entendre un tic-tac bruyant. Au poste de police, il y avait aussi une horloge… Il grimaça comme  sous l’effet d’une douleur, puis tâta son couteau et sourit.

 

Il s’assit ensuite devant la petite table, au milieu de la pièce, et mangea machinalement, les yeux fixés sur le mur en face de lui.

 

Il avait tout accompli pour elle ; son premier vol… quelques souverains extraits de la caisse… Elle en avait été l’instigatrice. S’il avait été poussé sur la pente fatale, c’était grâce aux petites folies, aux petites extravagances, à la coquetterie de sa femme. Les yeux fixés au mur, il dévalait cette pente en souvenir.

 

Sur le mur s’étalait un verset de la Bible. Les yeux de Thomas n’avaient pas quitté ses mots mal imprimés, aux lettres noires, dorées, vertes, rouges, irrégulièrement alignées.

 

Ses pensées s’évadaient en tous sens, quoiqu’il s’efforçât inconsciemment, les yeux sur le verset, de les concentrer sur un point unique. Une moitié de son cerveau poursuivait la mortelle route de l’introspection ; l’autre, à contrecœur, jouait avec les mots fixés au mur.Il ne lisait que ceux écrits en majuscules :

 

« Voici… L’Agneau… Dieu… Efface… Péchés… Monde… »

 

Trois années de bagne pour cambriolage, deux périodes de six mois pour effraction… Poussé par elle, toujours. Bien des années avant, il allait à l’église, faisait partie du chœur, s’intéressait aux choses de la religion. C’est étrange comme un homme peut d’éloigner de cette voie, comme la fraîcheur de la foi s’efface… Il l’avait épousée par licence spéciale, à Marylebone, et ils étaient allés à Brighton pour leur voyage de noces. Elle savait bien qu’il ne gagnait pas suffisamment pour leur train de vie ; il ne se doutait pas qu’elle avait deviné  qu »il volait son patron. Aussi lorsque, froidement et non sans amusement, elle lui avait révélé qu’elle n’en ignorait rien, il avait été confondu et bouleversé…

 

« Voici… L’Agneau… »

 

A suivre

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commentaires

C
Je crois que je vais m'intéresser à cet auteur. Merci Adéodat. J'ai répondu tardivement à votre premier article littérature d'hier. Je manquais de temps pour le faire plus tôt.<br /> Avec toutes mes amitiés.<br /> Cécilou
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